ADIOS
BIGAS LUNA
Juan
José Bigas Luna, cinéaste connu sous le nom raccourci
de Bigas Luna, nous a quitté le 6 avril dernier, à l'âge
de 67 ans.
Venu du milieu artistique, on se souvient de lui en France surtout
pour "Jambon jambon" en 1992, qui nous a révélé
Pénélope Cruz et Javier Bardem faisant l'amour sous
l'un des panneaux de taureau Osborne qui décoraient l'Espagne
de notre souvenir.
Ci-dessous, le texte écrit par Javier Bardem apprenant la disparition
du réalisateur.
Traduction maison, bien entendu. Texte
original ici.
Je
ne sais pas quoi dire, ni comment. Et encore moins l'écrire. A Bigas
je lui dois la femme que j'aime, deux amis pour la vie et une carrière
que je n'aurai jamais rêvé. Que pourrais ajouter à cet éternel et
profond remerciement que je lui dois ? Seule l'immense tendresse que
je ressentais face à cette personne noble, libre, bonne, amoureuse
et légère pourrait le dire… Cette légèreté émotionnelle de Bigas que
nous enviions tous. J'ai le souvenir d'un homme intelligent qui choisissait
toujours le sourire, l'amour et un bon morceau de jambon plutôt que
le drame, l'angoisse et le conflit. Quelle merveille que cet âme frivole
dans ce corps d'ours… Quel cadeau cette ironie toujours positive,
cette absence de méchanceté face à la vie… Quelles leçons d'éthique
vitale chaque fois que je te regardais en silence souriant, invitant
les autres à être joyeux, par delà les stupidités et les choses abstraites
qu'il faudrait éviter. Un homme sage en vérité, dans la plus sensible
et simple peau, avec le palais le plus reconnaissant envers les miracles
de la terre et de la mer.
Je
me rappellerai toujours ma première escargolade à Barcelone avec lui.
Après deux heures, deux visites à la cuisines et trois casseroles
qui débordaient pour nous deux, j'ai hissé le drapeau blanc, tandis
qu'il disait : " Ay Benito…il va te falloir plus de deux œufs d'or
pour partager ma table. " Depuis ce jour, les escargots, je ne peux
plus les voir en peinture.
Pénélope,
Jordi et moi, vivions notre premier rêve professionnel dans son cocon.
Il nous a entouré de tant d'affection, de tendresse, de respect, et
d'appui qu'aucun de nous trois ne doutions que nous allions en faire
notre profession. Il nous a offert le plaisir de rêver éveillés pour
la première fois, et il a rempli nos cœurs de foi, d'illusion et d'amour
envers notre travail. Grâce à lui nous savons que c'est possible de
vivre pour nos rêves et la force, la foi de lutter pour ça c'est lui
qui nous l'a insufflé.
Pour
moi il fut comme un père qui m'a pris par la main et je lui dois tant
de choses… Des choses belles, bonnes, intelligentes… Comme connaître
et déguster chaque saveur que t'offre la vie fusse t'elle amère pour
celui que ne sait pas s'alimenter pour de vrai, en l'accompagnant
si possible d'un bon vin.
Mon
cher Papa Bigas, ce plat aujourd'hui est bien difficile à avaler,
en vérité, je ne sais comment faire. Je l'arroserai avec tout mon
amour, mon respect, mon admiration et mon éternelle reconnaissance
pour ce que tu as fait pour moi. Et je te garderai toujours dans mon
cœur, pour m'alimenter.
Je
t'aime beaucoup, je te remercie pour tout. Pour toujours, mon Papa
Bigas.
Javier
Bardem
Ne
reculant devant aucun sacrifice, j'ai aussi traduit les propos de
Pénélope Cruz:
Tout
au long de ma carrière j'ai passé de nombreux castings, mais il y
en a un qui a changé ma vie.
Je ne sais plus trop ce que j'ai pensé en lisant " les âges de Lulu
" à 14 ans, mais quand j'ai entendu dire qu'il y avait un casting,
je m'y suis présenté sans prévenir personne.
D'une pièce est sorti un homme avec un visage de garnement. Il s'appelait
Bigas Luna, et moi, en cachette, j'avais vu quelques-uns de ses films.
La première chose que m'a demandé Bigas fut mon âge. Je lui ai dit
que j'avais 17 ans, et lui, avec beaucoup de douceur et sans que je
me sente blessée, a rit un peu et m'a dit : " bon, tu ne vas pas pouvoir
faire ce film, mais je t'appellerai pour un autre quand tu seras majeure
".
Je
rentrais chez moi en pensant que jamais il ne me rappellerait, mais
j'étais contente pour le respect et la tendresse avec lesquelles ce
monsieur a la stature d'ours m'avait traité.
La grande surprise c'est qu'il m'a rappelé trois ans plus tard. Le
téléphone a sonné et j'ai reçu un appel qui m'a fait croire aux miracles.
Bigas se rappelait de moi et voulait me voir pour son prochain film.
Le film qui a changé ma vie.
Bigas
était un être réellement spécial. Une des personnes qui savait le
mieux au monde vivre le moment présent et goûter les petites choses
de la vie. Quand j'étais avec lui, c'est comme si le temps s'arrêtait.
Il changeait tous les moments en quelque chose de spécial, original,
et presque toujours inoubliable. Une scène, une conversation, un jour
de tournage, un voyage… Son univers était le plus possible éloigné
de la médiocrité.
J'ai
eu beaucoup de chance de pouvoir passer du temps avec lui, de pouvoir
admirer de près son talent, son humeur, sa bonté, sa merveilleuse
tête… Bigas a été quelqu'un de très important pour moi. Je lui serai
toujours reconnaissante pour beaucoup de choses, et il restera toujours
toujours dans mon cœur.
Je
t'aime, ami Bigas.
Pénélope
Cruz